Ce qu’aime Michel Estades :

Marchand d’art passionné, fort de 30 ans de métier, Michel Estades aime partager ses coups de cœur et son expertise. Ses 4 galeries présentent en permanence une offre variée d’artistes figuratifs des XXe et XXIe siècles : Grands Maîtres, Maîtres provençaux, Maîtres lyonnais, Maîtres modernes et contemporains, ainsi que de nouveaux talents régulièrement découverts, peintres et sculpteurs.

BIOGRAPHIE :

Mark Dedrie, artiste en mouvement
Robin d’Arcy Shillcock

De prime abord, l’attention du spectateur étudiant les sculptures de Mark Dedrie (1962) est attirée par l’aspect lisse et la stylisation poussée de celles-ci. En effet, malgré le fait que chez Dedrie, la couleur cède le pas à la forme, son approche n’est pas à proprement parler classique. Il s’agit plutôt ici de la transfiguration d’un monde de couleur et d’action en un univers de présences, de volumes et de lignes pures, et il parvient à évoquer la légèreté à l’aide d’un matériau lourd: le bronze. Il en résulte des sculptures visuellement attrayantes et agréables au toucher. Ils ne sont guère nombreux les sculpteurs capables de capter effectivement le style et l’allure des animaux, et encore moins d’atteindre le raffinement de Mark Dedrie. Le résultat sont des sculptures fines et sensuelles, traduisant avec grâce le style des canards et autres échassiers.

Très sincèrement, je ne puis en citer que quelques-uns. François Pompon (France 1855-1933), réalisa les marbres de Rodin, avant de s’affirmer comme l’un des sculpteurs animaliers les plus importants de son temps. Son œuvre suscita le courant que je qualifierais de ‘Mouvement de la Forme’, en réaction aux travaux des Animaliers anecdotiques tels que Barye et Fremiet qui s’intéressaient surtout à la Lutte des Titans; Gorille enlevant la belle innocente (thème de ‘La Belle et la Bête’ et plus tard King Kong), Léopard en lutte avec le serpent etc. Je citerai ensuite Adrian Sorrel (Angleterre, 1932) et Claude Lhoste (France, 1929) qui recherchent le même niveau de fluidité et de perfection que Dedrie. Le champ d’action de Lhoste s’étend à une série de sujets plus vaste, ce qui s’explique par sa longue expérience. Dans le catalogue de l’exposition annuelle Birds in Art, (Les oiseaux dans l’art) qui est organisée depuis 25 ans au Musée d’art Leigh Yawkey Woodson Art à Wausau (USA), je découvre quelques artistes dont l’œuvre est comparable à celle de Mark Dedrie : Emily Parlman (USA,1927), Burt Brent (USA, 1938), chirurgien plastique dont les sculptures portent l’empreinte de son activité professionnelle, Charles Almond (USA, 1938), Geoffrey Dashwood (UK, 1947) et Ross Matteson (USA, 1957). Ce dernier est le plus proche de Dedrie, mais plus dur et distant dans la représentation des oiseaux. En fait, la sensualité de Dedrie se rapproche plus de celle des sculpteurs sur bois, tels que Hank Tyler (USA 1944) et le Néerlandais Jaap Deelder (1952), qui polissent leurs sculptures en les enduisant d’huile, rendant ainsi visible la nervure du bois.

Les artistes de qualité ne nous tombent pas du ciel. Ainsi Dedrie, lui aussi, est le produit d’impressions, d’influences et de courants variés. Certains d’entre eux ne sont pratiquement plus décelables, alors que d’autres se laissent uniquement deviner. Dedrie subit certainement les influences de ses années d’apprentissage, à l’époque où il était couleur de bronze – son métier de base. Nous avons donc affaire à un autodidacte qui cherche à transmettre sa vision et son émotion au spectateur, grâce à son savoir-faire et à sa connaissance parfaite des moyens techniques disponibles, mais aussi par son empathie avec les oiseaux.

Les Oiseaux
L’oiseau est symbole de liberté, déclare Mark Dedrie, mais paradoxalement toute forme de symbolisme disparaît peu à peu de son œuvre. Ses figures humaines, symboliques et androgynes, cèdent la place à des oiseaux et des animaux reconnaissables, certes, mais qui requièrent la quête d’un sens plus profond. Et pourtant, malgré une certaine connaissance du monde des oiseaux, celui-ci reste mystérieux et insaisissable aux yeux de l’homme du 21ième siècle, tout en restant le messager d’une signification symbolique. De toutes les créatures du monde animal les oiseaux se rapprochent les plus des anges! Mark Dedrie regarde les oiseaux avec empathie, même s’il transcende ce regard. Il observe l’oiseau vivant aussi bien que le spécimen empaillé. Il étudie leur silhouette, leurs attitudes. Il fait appel à la photographie pour tenter de pénétrer dans leur monde et se laisse bercer par ses rêves et ses phantasmes. Avant même qu’il n’entame son travail, les différentes couches de ses yeux et de son cerveau filtrent et interprètent toutes les caractéristiques plastiques propres au canard mandarin ou au courlis. Il conçoit les sculptures en cire ou plastiline grandeur nature et en utilisant ses mains et ses doigts comme dans un acte d’amour. Chaque nouvelle sculpture procède d’une gestation douloureuse, alors qu’il s’efforce de capter ce qui rend ces créatures si inaccessibles: leur pureté et leur légèreté. Il croit que c’est en simplifiant ses sujets qu’il réussira le mieux à transmettre leur état d’esprit. Car les oiseaux eux-mêmes ne collaborent pas. Bien sûr, chaque espèce présente une silhouette typique qui permet de reconnaître le ‘hibou’ ou la ‘corneille’. Pourtant un oiseau est bien plus que cela – il y a aussi la personnalité, l’attitude particulière et le comportement caractéristique. En outre, les parties protubérantes, telles que les pattes et le bec, posent un problème de transposition, de recréation sur le plan technique et artistique et risquent même de rompre l’unité de la sculpture. Malgré ces transpositions, l’on identifie aisément le courlis, le mandarin, le petit hibou, le gracieux martin-pêcheur. Et le cygne si fascinant.

Il émane de ce cygne une présence saisissante. L’homme qui décida d’acquérir la sculpture de grande taille ‘Crescendo’, pendant que Mark et moi-même déambulions dans la galerie, ne se lassera pas de sitôt d’admirer cette œuvre. Celle-ci est un vrai Dedrie, et pourtant elle est différente: exubérante, majestueuse, un tour de force, créé dans le but d’impressionner. A en croire les saga islandaises les cygnes migraient vers la lune après la couvaison; c’est exactement ce que Dedrie a réussi à capter, la qualité magique, quasi lunaire du cygne. Il traduit l’anatomie du cygne de façon personnelle, tout en s’écartant de la réalité morphologique des ailes, ceci peut-être afin d’éviter une pose trop héraldique. En suggérant le ‘mouvement’ des ailes, il semble bien que le sculpteur ait été inspiré par des phographies d’oiseaux en plein vol, leurs ailes estompées et floues. Tenter de suggérer le mouvement dans un bronze présente souvent un problème difficile à résoudre. Dedrie l’aborde par ce que nous pourrions appeler un angle moderne, utilisant tous les moyens actuellement à notre disposition. Le profil des ailes dépasse l’exactitude anatomique: elles semblent gonfler et capter l’air comme si, à chaque instant, elles pourraient emporter l’oiseau à travers l’espace tridimensionnel. L’on découvre ici des concordances avec l’approche de Lhoste, notamment son Pélican en marbre de 1966 et son Oiseau en bronze de 1988. Du fait que l’œil humain ne capte pas parfaitement ce mouvement, l’artiste peut faire appel à de nouvelles possibilités sculpturales. D’une manière très simple, semble-t-il, ces deux artistes nous donnent une impression ou, plus fort même, une évocation imaginaire de ces créatures énigmatiques, évoluant à la périphérie de notre monde, essayant toujours d’échapper à notre attention.

L’alchimie de l’atelier

Less is more (Moins c’est plus) telle est la pensée sous-jacente de Mark Dedrie. Facile à dire. Produire des sculptures d’animaux convaincantes et stylisées exige un long processus préliminaire au cours duquel il s’agit d’expérimenter, de prendre des décisions ardues, de faire des choix douloureux. Puisque ses sculptures sont, en effet, réalisées avec tant de soin et de précision, il faut, pour pouvoir les apprécier pleinement, non seulement les regarder de loin, mais aussi pouvoir les toucher afin de ressentir ce que l’artiste avait éprouvé – c’est ce qu’un ami sculpteur m’a appris il y a belle lurette. Je suivis son conseil lors d’une exposition au Musée d’Orsay à Paris et touchai bon nombre de sculptures … jusqu’au moment où des gardiens furieux nous en empêchèrent en nous menaçant de nous jeter dehors. J’opte donc pour une visite au musée en plein air du Middelheim à Anvers, où l’on peut caresser les sculptures, tel mon favori, l’Ours polaire de Pompon, sans se faire apostropher par les gardiens. Les sculptures de Marc Dedrie, tel Stone Owl, le prince-consort de Pallas Athéna, la déesse grecque de la sagesse et des arts, ou l’élégant courlis au long bec et le gracieux martin-pêcheur qui semble prêt à plonger dans quelque mystérieux ruisseau, toutes supplient qu’on les touche. Dans sa recherche inlassable de l’essentiel, Mark Dedrie a apuré son sujet tout en lui conservant sa vivacité dans sa gracieuse coquille de bronze nacré. Ceci découle de son amour du métier, du choix des matériaux et des outils qu’il utilise. Beaucoup dépend de la manière dont il chauffe et aplatit la cire et de la précision avec laquelle il façonne le moule et lisse le modèle en cire qui en résulte. Durant le processus de la fonte du bronze, le modèle original se perd – cire perdue. Mais il ressurgit après démoulage, comme un sphinx renaissant de ses cendres. Si les sculptures peuvent être admirées à distance, elles gardent cependant toutes leurs qualités lorsqu’elle sont observées de près. La qualité nacrée de la matière apparaît alors avec netteté. La gageure consiste à appliquer la patine – causée par une réaction chimique au feu – de manière à la rendre intéressante sans qu’elle ne devienne criarde. (Et fort éloignée des patines à couleur d’excréments que les sculpteurs néerlandais semblent préférer).

En gros plan un manque de détails se manifeste. Ainsi les yeux qui pourtant donnent vie à une sculpture ne sont ici souvent que de simples creux orientés en fonction de la lumière. Le sculpteur s’intéresse à la synthèse de grands volumes, non pas aux détails aux faits. Seul le regard du spectateur reconnaît un oeil dans un creux, conférant ainsi vie à l’oeuvre.

L’élégance et la légèreté de l’oiseau sont suggérées. Le point d’équilibre du volatile doit être fixé dès le début du processus de création de la sculpture. Cette performance, en combinaison avec l’attrayante patine marbrée, qui suggère légèreté et apesanteur, cache habilement le fait qu’il s’agit de matériaux lourds et rigides. En fin de compte, ladite patine augmente ainsi la qualité tactile des sculptures.

La simplicité et la légèreté des sculptures font aisément perdre de vue ce qui précéda. La production de sculptures en bronze ou en acier inoxydable représente un travail de longue haleine, supposant un processus lent et coûteux.. (Ceci expliquerait-il le manque d’intérêt pour la sculpture de la part des Académies des Beaux-Arts aux Pays-Bas?) Le travail du bronze reste tel qu’il a toujours été depuis la nuit des temps: un métier manuel et exigeant. Afin d’atteindre un degré élevé de perfection, de subtilité et d’harmonie, l’artiste doit effectuer une succession de travaux longs et délicats, étudier des particularités qui disparaîtront dans le résultat final. Il faut donc, pour atteindre plus, montrer moins… Less is more (Moins c’est plus).

Un artiste en mouvement
Les artistes sont des individus imprévisibles, c’est justement ce qui les rend intéressants; ils évoluent, modifient leur style, ou se laissent entraîner par de nouvelles passions. Il y a cinq ans d’ici, Mark Dedrie a entamé sa série de sculptures d’oiseaux; depuis lors, il n’a pas dévié de sa route. Les symboles, les anecdotes et également une forme d’hermétisme ont cédé la place à une figuration bien charpentée. Il ne s’agit pas d’une figuration unilatérale, d’un documentaire banal des espèces animales, car Mark Dedrie désire évoluer en restant à mi-chemin entre la figuration et l’abstraction pure. Lorsque l’on étudie son œuvre telle qu’elle a évolué depuis cinq ans, l’on constate que les formes s’en sont épanouies, tel un poussin émergeant de l’œuf et découvrant le monde environnant. Les formes strictes et compactes du début qui caractérisaient ses sculptures, ont évolué vers plus de légèreté. En quelque sorte, elles sont devenues plus aériennes. Elles pourraient, un jour, se mettre à respirer!

Le processus mystérieux de la création se déroule dans le subconscient de l’artiste, et ce processus est plus mystérieux que l’alchimie. J’aimerais pouvoir découvrir et comprendre la mystérieuse macération qui se déroule dans le cerveau de l’artiste et quelles idées le hantent. Imagine-t-il anticipativement avec précision chaque nouvelle création telle qu’elle se matérialisera plus tard, ou telle qu’il la souhaiterait? Ou ne l’entrevoit-il que vaguement ? Ou voit-il simultanément les différentes possibilités qui s’offrent à lui? Hélas, toute forme d’introspection dans le mental de l’artiste est impossible, il faut se satisfaire de ses idées traduites dans le métal.

Lors des échanges d’idées que j’ai eus avec lui, il a exprimé l’intention de vouloir évoluer, de se renouveler. Il déclare avoir l’intention de se rapprocher du naturalisme. « Je pense ajouter un seul détail. » Il s’arrête de parler, hésite et ajoute, « Ce détail devrait remplacer et symboliser ceux que j’omets et qui font partie de la totalité de l’oiseau. » Il y a encore des distances à franchir, des raffinements à apporter. Aucun artiste, aucun homme peut-être ne peut progresser sans ces aspirations. Le manque de croissance signifie l’arrêt total. Un horizon lointain brille dans son regard. Il déclare: « Je désire progresser. J’en suis capable. Je le ferai. »
Dans sa confrontation aux problèmes compliqués qu’il lui faut résoudre Mark Dedrie s’élance vers une destinée que nous ne pouvons discerner. Compte tenu de ses qualités et de son sens esthétique aigu, je demeure curieux de suivre son évolution. Ceci signifie que le livre que nous vous présentons ce jour, ainsi que l’exposition qu’il accompagne, ne constitue qu’une étape, un cliché momentané, un bilan, tenant compte des intentions et des ambitions de l’artiste. Nous apprécions à sa juste valeur le fait qu’une rétrospective signifie, en fait, un tour de force, mais également un moment de réflexion, une prise de conscience au bout de cinq années de dur labeur. C’est aussi le moment de vérité. Car l’artiste nous dit: ‘Voilà où j’en suis. Me voici’.

Mark DEDRIE
Né(e) en 1962

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